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jeudi 29 janvier 2009

L'étoile

Une nuit, alors que tout était calme et froid dans le désert, une nouvelle étoile apparut dans le ciel de notre pays.
Aussitôt, le sultan déclara qu’elle lui appartenait, et que lui seul pouvait décider de ce qu’il fallait en faire. Contemplant les ténèbres du haut de la plus grande tour de son palais, il pointa sa fine barbe noire vers le ciel, et dit :« C’est moi qui l’ai vue le premier ! C’est donc à moi et à nul autre que revient le privilège de posséder ce nouvel astre ! À compter de ce jour, il fait partie intégrante de mon empire ! »
Comme personne n’avait envie de s’attirer des ennuis inutiles, on ne discuta pas.
Le sultan a toujours aimé les choses merveilleuses. Il a, paraît-il, une vie onirique fort chargée. Il a en outre un orgueil de belle taille. C’est dire si l’idée de se retrouver soudain en possession d’une des étoiles du ciel avait tout pour le séduire, et le rendre encore plus enclin à la folie des grandeurs qu’à l’ordinaire.
Après avoir bien réfléchi à ce qu’il convenait de faire de cette nouvelle partie de son empire, il annonça de sa voix haute et claire qu’il avait l’intention de s’y rendre au plus vite, et fit en conséquence mander auprès de lui ses meilleurs astrologues afin qu’ils lui apprennent ce qu’ils savaient de cette mystérieuse étoile, et qu’ils le conseillent quant aux moyens qu’il lui faudrait employer pour monter jusqu’à elle. Lorsque ces vénérables hommes de science, vêtus de leurs plus beaux ornements à vocation occulte de type chapeaux pointus et robes de soie couvertes de croissants de lune arrivèrent auprès du sultan, ils durent avouer à leur grande honte que cette apparition soudaine leur était parfaitement incompréhensible.
-Rien de tel n’était prévu dans nos almanachs, dirent-ils en présentant à leur maître des mines abasourdies, devant un tel phénomène nous ne pouvons que faire part de notre étonnement. La nuit dernière encore nous les avons tous comptés, et nous n’avons trouvé aucun astre supplémentaire. Cette apparition est aussi récente que curieuse.
-Vraiment ? Vous n’avez rien vu venir ? demanda le sultan un peu surpris par l’aveu d’incompétence de ses astrologues.
Tout rougissant, l’un des savants répondit la tête baissée :
-Non, vraiment, rien du tout.
-C’est étrange, poursuivit le sultan, je vous paye pourtant fort cher pour que vous puissiez mener à bien vos travaux… Mais enfin, passons sur ce détail, et contentons-nous pour l’instant d’admirer le fait accompli. Les raisons de l’apparition de cette étoile n’ont après tout que peu d’intéret, le plus important à l’heure actuelle est que vous puissiez répondre à mes questions.
-Nous ferons de notre mieux, dit le plus vieux des astrologues d’une voix chevrotante.
-Très bien, alors dites-moi quelle est selon vous la nature de cet astre ?
-Selon toute probabilité il s’agit d’une étoile.
-Oui, j’entends bien, mais est-ce une étoile intéressante ? Pourrais-je y trouver assez de féerie pour satisfaire mes besoins ? En un mot, est-elle digne d’appartenir à un homme tel que moi ? Car voyez-vous, je n’ai pas l’intention de me contenter de petites choses sans importance. Il me faut du grandiose et du merveilleux.
-D’après nos premières informations, cette étoile semble être de belle taille, mais nous n’avons pas encore pu recueillir un nombre suffisant d’informations à son sujet pour être tout à fait sûrs de notre opinion. Le ciel est une chose si vaste, et l’astronomie un art si périlleux…
-Cela est un peu vague, dit le sultan l’oeil noir et le menton fuyant, mais j’ose espérer que vous pourrez tout de même me conseiller de façon satisfaisante au sujet des moyens qu’il me faudra employer pour me rendre sur mon étoile. Allez, faites-moi profiter de votre science, je suis impatient.
-Vous y rendre sultan ? répondit l’un des astrologues à la fois inquiet et surpris, n’est-ce pas une décision un peu précipitée ?
-Absolument pas ! Cette étoile m’appartient, je veux la visiter, et le plus tôt sera le mieux. Je ne veux pas qu’on me la vole !
-Vous la voler ? Non, de ce côté-là vous ne risquez rien. Une étoile, ça ne se vole pas comme ça.
-On n’est jamais trop prudent. Tant de gens de par le monde me veulent du mal. Il faut se méfier de tout et de tout le monde.
Certains des astrologues se chuchotèrent quelques mots à l’oreille, puis l’un d’entre eux dit :
-Hélas grand sultan, selon nous votre idée n’est pas très sage. Avant de mettre les pieds sur votre étoile il serait préférable de l’observer au moins durant quelques nuits afin de savoir si elle est bien accrochée au ciel, et si elle est aussi solide que les autres astres du firmament.
-Messieurs, je vous trouve bien insolents ! dit le sultan dont l’irritation était de plus en plus perceptible. Pourquoi voulez-vous que mon étoile ne soit pas bien accrochée au ciel ? Je finirai par croire que quelqu’un vous paye pour m’incommoder. On dirait que cela vous dérange de voir le pays s’enrichir d’une nouvelle colonie ?
-Pas du tout, mais vous venez vous-même de rappeler comme il est préférable de faire preuve de prudence…
-De prudence, oui, pas de frilosité ! Quel qu’en soit le coût, j’irai sur mon étoile. J’en ai assez d’être privé d’astres dignes de ce nom. Tous mes collègues possèdent des comètes, des étoiles, et des planètes à ne plus savoir qu’en faire, et moi, qui ne suis pourtant pas le dernier des imbéciles, je devrais me contenter des quelques étoiles filantes depuis longtemps éteintes que mon pauvre père a bien voulu me laisser en héritage ? Tous les gens puissants, tous les maîtres des États qui nous entourent vont quand ils le veulent se promener dans leurs célestes colonies, et moi, je devrais me contenter de rester cloué au sol à regarder briller la lune et grandir les palmiers de mon oasis ? Il n’en est pas question !
Les astrologues se sentaient bien embêtés. Le sultan savait se faire craindre, et ses terribles colères avaient tout pour faire trembler son peuple. La moindre petite contrariété pouvait lui donner le goût de violentes représailles, et contredire ses opinions pouvait avoir des conséquences désastreuses. C’est donc avec la plus extrême prudence que le plus vieux des astrologues dit :
-Les moyens de se rendre dans le ciel sont fort nombreux, mais lorsqu’on n’est pas habitué aux espaces infinis, et lorsqu’on ne sait même pas quelle est la nature exacte de l’objet céleste que l’on convoite, une telle aventure n’est pas sans présenter certains dangers, cela d’autant plus…
-Cela suffit ! dit le sultan, interrompant sèchement son interlocuteur. Peut-être faites-vous comme on le dit partie des personnages les plus savants de mon empire, mais il n’en reste pas moins que votre discours m’ennuie plus qu’il n’est permis. Et puisqu’il en est ainsi, je me passerai bien volontiers de vos conseils. Messieurs, vous pouvez rentrer chez vous.
Quelques heures plus tard, les astrologues du palais furent livrés au chef des bourreaux, et décapités en place publique. On en déduit que le sultan était sujet à un léger agacement.
Les jours passèrent, et chaque nuit le sultan observait son étoile. Il ne parlait, pour ainsi dire, plus que de son projet de voyage dans le ciel, et consultait à présent les meilleurs ingénieurs du pays qui, ne voulant prendre aucun risque inutile, affirmaient tous que son projet était facilement réalisable, et que d’ici peu son rêve de faire paître ses chameaux dans le ciel deviendrait réalité.
Certains lui proposèrent de s’y rendre en tapis volant, mais il trouva cela quelque peu démodé. D’autres lui conséillèrent d’apprendre lui-même à voler, ce qu’il trouva tentant, et assez poétique, mais par trop compliqué et hasardeux, mais la plupart des personnes qu’il consulta lui affirmèrent que la meilleure solution pour mener à bien son projet était sans doute de construire une sorte de grand échafaudage muni d’un escalier qui, s’il était fabriqué avec soin, le mènerait sans peine vers sa nouvelle colonie.
Très enthousiasmé par cette idée qu’il trouva majestueuse à souhait, il ordonna aussitôt à tous les hommes valides du pays de se mettre à l’ouvrage, et promit à chacun une double ration de dattes si les travaux étaient achevés avant son anniversaire qui devait être célébré quelques semaines plus tard. En cas d’échec, il prévoyait bien entendu quelques cruelles et pénibles punitions. (Écartèlement, supplice du pal, découpage en petits morceaux, etc…)
Pendant que ses sujets travaillaient comme des bêtes sous le fouet de terribles gardes-chiourmes, le sultan, qui trouvait le temps bien long, tâchait de se divertir en compagnie de ses nombreuses épouses, toutes plus impatientes les unes que les autres de lui offrir une descendance de qualité. Dans le calme de ses riches appartements, il se faisait enduire le corps d’huiles odoriférantes, et rêvait à son futur voyage dans le ciel :
-Mes très chères femmes, leur dit-il un jour, vous savez combien il m’est agréable de palper vos seins langoureux et de goûter au poison de vos lèvres molles, mais hélas, durant quelques jours, aucune d’entre vous n’aura la chance d’être honorée par mes soins. Comme vous le savez, une tâche importante m’attend au royaume de la nuit, et je ne peux, à mon grand regret, vous emmener avec moi. Mais je vous promets qu’à mon retour je vous ferai participer à la plus belle orgie que l’on ai vue de ce côté-ci du désert. Nous fêterons dans le stupre et l’allégresse l’entrée dans mon empire de ma première colonie céleste. Je vous promets bien de l’amusement, et les plus dociles d’entre vous recevront peut-être un jour ou l’autre en cadeau une petite résidence de campagne remplie d’eunuques serviles et de parfums capiteux que je ferai construire sur mon étoile.
Les épouses du sultan furent un peu tristes lorsqu’elles apprirent qu’il allait devoir les abandonner quelques temps, car elles avaient toutes une haute idée du devoir conjugal, et aimaient caresser la peau rugueuse de leur maître vénéré, mais elles lui souhaitèrent tout de même bon voyage, et promirent de rester sages durant son absence.
C’est au cours d’une de ces petites réunions privées qu’un de ses serviteurs vint un jour informer le sultan qu’un étrange personnage s’était présenté à la porte du palais en affirmant avoir une chose très importante à lui dire.
-Vous voyez bien que je suis occupé, avait répondu le sultan qui était en train de se faire masser les pieds par une lascive malabaraise.
-Oui grand sultan, avait dit le serviteur, mais le visiteur insiste, et affirme surtout que sa venue à un rapport avec votre étoile.
Le sultan leva les yeux. Il paraissait fort surpris et intrigué.
-Faites entrer cet homme, dit-il calmement, mais d’un air très concentré.
Le serviteur se retira à reculons, et quelques instants plus tard fit entrer un vieillard vêtu d’une longue cape noire et d’un turban poussiéreux qui s’inclina devant le sultan avec assez de politesse pour paraître respectueux.
-Sois le bienvenu, vieillard, dit le sultan qui s’était assis sur un riche siège en velours, je t’écoute, qu’as-tu à m’apprendre ?
-Voilà grand sultan, je passais dans la région, lorsque j’appris au hasard de l’une ou l’autre conversation venue à mes oreilles que vous revendiquiez la propriété d’une nouvelle étoile récemment apparue dans le ciel.
-C’est exact. C’est moi qui l’ai vue le premier, elle m’appartient donc de plein droit.
-Je crains hélas que cette opinion soit fort contestable, continua le visiteur d’une voix très calme et assurée.
-Que veux-tu dire ? répondit le sultan pas encore tout à fait agacé.
-Ce que je veux dire, c’est que cette étoile m’appartient, et que je n’ai l’intention de la céder à quiconque. Le sultan ne prit pas cette remarque très au sérieux. Se frottant la barbe, il dit :
-Gardes ! Évacuez cet insolent ! Je n’ai pas envie de rire.
-Ce n’est pas la peine de faire appel à la force armée, dit l’étrange vieillard, si vous ne voulez pas m’écouter, je m’en vais. Mais je vous aurai prévenu…
Et il disparut aussitôt dans les couloirs du palais. Le sultan ordonna qu’on le rattrape, et qu’on le décapite pour lui faire passer l’envie de se moquer de lui, mais bien que plusieurs hommes en armes se soient rapidement mis à sa poursuite, il fut étrangement impossible de lui remettre la main dessus. On trouva cela bien mystérieux, mais on était alors si préoccupé par la construction de l’escalier céleste que l’on n’y pensa bientôt plus.
Le temps passa. Le sable du désert s’égraina lentement dans les sabliers de l’empire, et petit à petit les sujets du sultan assemblaient le grand échafaudage qui devait bientôt le mener vers le ciel. Le travail était harassant, et chaque jour un peu plus compliqué. Souvent des gens tombaient du haut de cette curieuse construction de cordes et de bambous venus de quelque royaume vassal perdu dans l’humidité des tropiques. C’était bien triste de voir tous ces morts, mais on n’avait pas beaucoup de temps pour les pleurer, et l’on promettait de leur ériger un joli monument fleuri dans le cimetière des martyrs de la nation.
Chaque jour le sultan visitait les travaux en compagnie de ses ingénieurs dévoués qui toutes les nuits priaient le ciel pour que leur improbable construction ne s’écroule pas trop vite. Beaucoup étaient inquiets, mais jusqu’alors ils arrivaient encore à cacher leurs véritables sentiments.
-Je vous félicite, leur dit un jour le sultan la mine fort satisfaite, vous faites un excellent travail. Si cela continue ainsi, vos noms entreront à jamais dans l’histoire de notre peuple. Vraiment, je suis fier de vous. Votre oeuvre ressemble en tout point à ce que j’espérais.
Ces mots furent suivis des quelques courbettes et remerciements de rigueur.
Ensuite, tout en continuant la visite de son échafaudage, le sultan se mit à expliquer aux nombreux thuriféraires qui l’entouraient ce qu’il comptait faire lorsqu’il aurait pris possession de son étoile :
-Tout d’abord, j’en chasserai tous les habitants, dit-il très sûr de lui.
-Quels genre d’habitants trouve-t-on selon vous sur cette étoile ? demanda, très obséquieux, l’un de ses ministres les plus lèche-bottes.
-Peu importe, ils devront me céder la place.
-Et s’ils refusent de s’en aller ?
-Je leur donnerai quelques bons coups de pied au cul, et j’en décapiterai quelques milliers pour l’exemple et pour le plaisir avant de les précipiter dans le vide qui, dit-on, entoure les astres du firmament.
-Quel riche idée ! dirent les personnes présentes en se frappant les mains d’allégresse.
-Et après, que ferez-vous sur votre étoile ?
-Je contemplerai l’univers, dit le sultan, l’air pensif. De ces hauteurs le point de vue doit être formidable. Ensuite, je me ferai construire un palais que j’incrusterai de diamants ou d’autres babioles dans le genre. Je pense en effet que si cette étoile brille si fort dans le ciel, et nous envoie une si belle lumière, c’est sûrement que la surface est couverte d’innombrables pierreries. Il serait dommage de ne pas en profiter.
Les commentaires orgueilleux du sultan durèrent jusqu’à la nuit tombée. On l’écoutait avec vénération, et lorsque le ciel fut bien obscur, on leva la tête pour observer encore la nouvelle colonie de l’empire qui scintillait aux abords de la grande ourse. La satisfaction était générale, et l’on se laissait aller à mille rêves merveilleux. Le sultan était assis sur le sable, à côté de lui se trouvait son chameau préféré, on se gavait de loukoums, et le calme du désert emplissait l’oasis.
Mais soudain, une voix se fit entendre :
-Cher sultan, je crains que vous ne m’ayez pas bien compris.
La voix venait d’un petit buisson d’épines, et laissait percevoir une certaine sévérité.
-Qui dit cela ? cria le sultan, plutôt surpris.
-C’est moi, dit le vieil homme au turban et à la cape noire qui lentement sortait de l’ombre. Il semblait toujours aussi calme, et ne laissait entrevoir aucun sentiment sur son visage couvert de rides.
-Encore vous ! Il m’avait pourtant semblé vous avoir dit que je ne souhaitais plus vous voir !
-Je le sais, mais vous ne m’avez pas écouté. Ce n’est pas bien, j’étais très sérieux. Cette étoile que vous convoitez m’appartient réellement, vous n’avez par conséquent aucun droit sur elle. Et non seulement elle m’appartient, mais en outre, c’est moi qui l’ai créée.
Le sultan ricana dans sa barbe, et lui jeta un regard méprisant.
-Ne riez pas, d’ailleurs, vous allez bientôt constater que ce que je vous dis n’est que la pure vérité. Regardez cher sultan :le vieillard glissa alors sa main dans sa poche, en tira une petite gomme qu’il agita vers le ciel à l’endroit où se trouvait la nouvelle étoile, et l’effaça comme un trait de craie sur un tableau noir.
-Puisque vous m’y forcez, dit-il, j’irai en dessiner une autre ailleurs.
Puis il disparut comme il était venu, avec le plus grand mystère.
Devant cet évènement des plus inattendu, le sultan ne se montra vraiment pas très courageux. Il cria, il pleura, il frappa du poing sur le sol, et demanda que l’on rattrape au plus vite le vieil homme pour qu’on le mette à mort. Ce souhait, bien sûr, ne put être réalisé. Toute la nuit il laissa parler sa rage en se frappant la tête contre le tronc d’un palmier qui en perdit toutes ses dattes. Triste spectacle qui ridiculisa la nation entière, et nous rendit bien perplexes.
Le pauvre homme ne se remit jamais vraiment de cet évènement qu’il vécut comme une authentique humiliation. Plus jamais il ne parla de son étoile, il fit comme si tout cela n’avait été qu’un mauvais rêve. L’escalier céleste fut démonté, puis brûlé dans le désert, on renvoya les ouvriers dans leurs foyers, et l’on tâcha pour le bien de tous d’oublier ce malheureux épisode de notre histoire.

1 commentaire:

Mingingi des prairies a dit…

C'est une très belle histoire, j'aime beaucoup :)